Extrait du prologue de « Lâche ton com ou Crève »
ROMUALD SERRADO
Lâche ton com ou crève !
Œuvre de fiction.
Les personnages, lieux et événements décrits sont imaginaires.
Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou disparues, serait purement fortuite.
Prologue
Dimanche 5 octobre 2025, 9h23.
Je posai ma petite tasse de café en tremblotant légèrement. Machinalement, comme un tic, je tournai l’anse vers moi tout en fixant l’écran de mon ordinateur, grand ouvert sur ma messagerie.
Un frisson me parcourut la nuque. Cette drôle d’impression devait bien envahir tous les jeunes auteurs lorsqu’ils envoyaient leur manuscrit à un éditeur, pièce jointe au mail de présentation de leur livre. Un partage de soi, un peu obscène presque, qui allait forcément être jugé — ou pire, ignoré.
Je le savais : cet univers-là était impitoyable. Pourtant, au fond de moi, subsistait une étincelle d’espoir. Je me répétais que j’avais toujours une alternative au silence des maisons d’édition.
Il y avait tellement de romans proposés que je doutais fort que le mien parvienne à se démarquer. Mon léger manque de confiance, doublé d’une lucidité mordante, m’incitait à croire qu’il existait forcément un autre auteur, plus brillant, plus inspiré, qui décrocherait le Saint-Graal avant moi.
Mais d’un autre côté… je n’avais pas le choix.
Je venais de perdre mon dernier client : un site d’actualités pour lequel je rédigeais des articles optimisés pour le référencement Google. Le mail avait été brutal. L’entreprise me remerciait poliment, m’expliquant qu’un membre de l’équipe, autrefois standardiste, allait désormais rédiger à ma place à l’aide d’une intelligence artificielle.
J’avais vu la vague arriver de loin, sans pouvoir l’arrêter. Un à un, mes collègues s’étaient fait balayer, remplacés sans ménagement par la machine.
Je m’étais souvent dit que ChatGPT finirait par avoir ma peau, mais je ne pensais pas que le coup viendrait si vite. Et voilà qu’à cinquante ans passés, je me retrouvais à tout recommencer à zéro, nu comme un débutant face à un monde que je ne reconnaissais plus.
Au bout de plusieurs mois sans réponse des dix éditeurs à qui j’avais envoyé Cœur en miettes — mon bébé, mon œuvre, ma respiration —, je finis par me remettre en question.
Mon roman noir racontait la vie d’un homme pour qui l’amour n’existait pas. Un être vide, creux, miroir de moi-même : un sociopathe incapable d’aimer, incapable de tisser le moindre lien social. Un homme bien plus habile avec les mots qu’avec les regards.
Je n’en avais pas pleinement conscience. Ce reflet ne me troublait pas tant que ça. Les seules conversations que je tenais, jour et nuit, se limitaient à celles avec mon chat, Régis, un gros matou de gouttière dont le pelage gris trahissait l’âge et la paresse. Le seul objectif de Régis : réveiller son esclave à cinq heures du matin pour réclamer son repas.
« L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt », disait le dicton. Moi, j’aurais volontiers échangé cet avenir contre quelques heures de sommeil.
Chaque matin, les yeux gonflés, je consultais ma boîte mail vide. Pas de réponse. Pas même un refus poli. Rien.
Je me souvenais des formulaires d’envoi de manuscrits sur les sites des éditeurs : « Si vous n’avez pas reçu de réponse d’ici trois mois, considérez que votre manuscrit n’a pas été retenu. »
Cette phrase s’était gravée dans ma tête. Je l’avais même répétée à Régis, qui m’observait du haut du canapé, ses yeux dorés mi-clos.
— Si au bout de quatre-vingt-dix jours on n’a pas de réponse, c’est qu’on peut aller se faire cuire le cul direct, Régis ! Tu entends ça ?
Le chat, imperturbable, bâilla simplement avant de se rouler en boule, comme pour me dire que le monde des humains n’avait décidément aucun intérêt.
J’avais attendu quatre-vingt-quinze jours. Chaque jour, je rouvrais ma boîte mail, le cœur battant, comme un joueur de loto espérant le bon tirage. Je les avais tous envoyés au même moment, persuadé que l’un d’entre eux aurait la clairvoyance de reconnaître ma pépite parmi les cent cinquante manuscrits reçus cette semaine-là.
Mais non. Rien.
Pendant ce temps, les factures s’empilaient sur la table basse, menaçantes.
Pas de chômage, pas d’indemnité. J’étais autoentrepreneur, libre et précaire à la fois. Cette liberté, que j’avais jadis glorifiée, se révélait maintenant un piège doré.
Je relus un soir le mail fatidique de mon ancien client :
« Nous vous remercions pour le travail effectué depuis douze ans à nos côtés. Malheureusement, une restructuration de l’entreprise nous oblige à devoir nous passer de vos services. Cordialement. »
Je paniquai. J’écrivis, tremblant, au rédacteur en chef — un homme bourru d’une soixantaine d’années, le genre à mâcher ses mots comme du gravier. La réponse fut glaciale : « Vous avez été remplacé par une IA. »
Mon monde s’était effondré.
Quand je perdis ce dernier client, j’eus l’impression qu’on m’arrachait le sol sous les pieds. Et tandis que je tentais de me relever, la seule bouée que j’avais lancée dans l’océan de la littérature — ce manuscrit dans lequel j’avais tout mis — se dégonflait lentement, avant de couler dans le silence des profondeurs.
Alors, dans un mélange d’orgueil, de désespoir et de survie, je me redressai.
Je n’avais pas besoin d’eux. Pas besoin d’éditeur.
Après tout, il existait des plateformes d’autoédition.
En tapant « publier son livre soi-même » sur Google, un nom revenait sans cesse : Hubertlivres.
Je créai un compte auteur, les doigts moites d’excitation et de peur, puis préparai mon manuscrit.
Ma couverture, mon résumé, mon fichier epub — tout y passa.
Quand je cliquai sur Publier, mon cœur fit un bond.
Une chaleur me monta au visage. Je me surpris à sourire.
Mon aventure littéraire allait enfin commencer.
Encore fallait-il que mon livre soit validé par la plateforme et réellement publié en ligne.
Je restai un instant figé devant l’écran, la gorge serrée, le doigt suspendu au-dessus de la souris comme si j’allais appuyer sur un détonateur. Une goutte de sueur glissa lentement le long de ma tempe.
Essuyer un refus d’une plateforme d’autoédition, après le silence glacial des maisons que j’avais contactées, serait le pire de mes cauchemars.
Ce serait la confirmation que même les algorithmes ne voulaient plus de moi.







Une réponse à “Extrait du prologue du thriller « Lâche ton com ou Crève » (2e roman)”
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